Sylvie Baïpo-Temon, ministre des Affaires étrangères venue du monde de la finance, incarne le nouveau souffle de la diplomatie centrafricaine voulu par le président Touadéra qui, tout en gardant de bons rapports avec Paris, a opéré un rapprochement stratégique avec Moscou.
À ceux qui s’indignent de ce que son pays préfère collaborer avec Moscou plutôt qu’avec Paris, Sylvie Baïpo-Temon, en sa qualité de cheffe de la diplomatie centrafricaine, se garde bien de prononcer le mot de souveraineté, mais sa façon de mettre les points sur les « i » laisse peu de doute sur ses convictions à propos de la liberté qu’a la RCA de conduire ses affaires à sa guise : « Il y a un débat qui n’a pas lieu d’être. La République centrafricaine a tout simplement décidé d’avoir une diplomatie beaucoup plus offensive et beaucoup plus ouverte. La RCA a des amis, des partenaires, donc elle s’ouvre vers ces partenaires et consolide ses liens avec eux, notamment avec la Fédération de Russie. Et dans ce sens-là, un pays ami qui répond positivement à une demande de coopération, on ne peut qu’accepter cette réponse et faire en sorte de consolider nos relations avec ce pays. » Un accord de défense signé en 2018 Qu’en est-t-il alors de la présence russe en République centrafricaine ? Certes, un certain nombre de sociétés russes de droit centrafricain ont été créées dans le secteur minier et se sont vu attribuer des permis d’exploitation, mais s’il y a un secteur où l’expertise russe est mondialement reconnue, c’est celui de la défense, en raison notamment des puissantes capacités que recèle ce pays en termes d’industrie de l’armement. Ainsi, dans le but de défendre le vaste territoire centrafricain qui a tant souffert des exactions des groupes armés et des mercenaires, un accord de coopération militaire bilatéral entre la Russie et la Centrafrique a bien été signé en août 2018. Cet accord prévoit des assistances militaires entre les deux États en cas d’agressions militaires étrangères contre l’un d’eux. Désormais, se félicite-t-on du côté du ministères des Affaires étrangères centrafricain, l’armée russe sera aux côtés de l’armée nationale en cas de recours à la violence légitime pour défendre le peuple et les institutions du pays. Par ailleurs, lors d’une rencontre par visioconférence avec le Conseil de sécurité de l’ONU le 22 juin 2020 à Bangui, Sylvie Baïpo-Temon a plaidé, avec les autres États, en faveur du renforcement des capacités opérationnelles de la Mission multidimensionnelle des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA), insistant sur la nécessité d’une levée totale de l’embargo sur les armes à destination de son pays. Car si les autorités centrafricaines souhaitent renforcer la MINUSCA, c’est notamment en vue de contraindre les groupes armés récalcitrants à respecter leurs engagements dans le cadre de l’accord de paix conclu avec le gouvernement le 6 février 2019. Bien que l’on assiste, grâce aux multiples formations assurées par la mission de formation de l’Union européenne et de la Russie, à une montée en puissance des forces armées centrafricaines (FACA), le besoin se fait pressant eu égard aux défis sécuritaires à relever dans plusieurs régions du pays. La ministre des Affaires étrangères se réjouit donc de l’appui de certains États qui ont pris la parole au Conseil de sécurité des Nations unies pour faire entendre les positions portées par la République centrafricaine, et se félicite de l’appui de la Russie dans cette lutte pour obtenir la levée totale de l’embargo sur les armes. « La Russie a pris le pas pour appuyer le plaidoyer de la RCA concernant la levée de l’embargo à l’ONU, en stipulant que compte tenu de la situation sur le terrain, il ne fallait plus tergiverser », explique Sylvie Baïpo-Temon. Le nouveau partenaire stratégique des pays africains De son côté, la Russie espère qu’à l’instar de la RCA, d’autres pays africains s’ouvriront à elle. En effet, Moscou a décidé de se lancer à la conquête du marché africain, ce que démontre l’organisation du premier sommet Russie-Afrique tenu les 23 et 24 octobre 2020 à Sotchi, où quasiment tous les pays africains ont été invités. Cette rencontre s’est révélé être un modèle du genre n’ayant rien à envier à celles organisées par la Grande-Bretagne, l’Union européenne, la Chine ou le Japon. Sensible aux appels du pied russes, la Centrafrique fait partie de ces rares pays africains du « pré-carré français » au patrimoine minier important – pas moins de 470 indices minéraux constitués de substances énergétiques non métalliques, de métaux non ferreux, de diamant et d’or – clairement disposés à s’ouvrir aux investissements russes. « Comme tout autre pays, la République centrafricaine à la possibilité de mener plusieurs partenariats sur son territoire. Et les pays qui souhaitent investir, avoir un partenariat avec notre pays, comme la Fédération de Russie, sont les bienvenus », a justement affirmé la ministre des Affaires étrangères en marge du 1er sommet Russie-Afrique. Il faut dire que Sylvie Baïpo-Temon a aussi compris que la Russie, comme d’ailleurs tous les pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), a la volonté d’intensifier ses échanges économiques et commerciaux avec l’Afrique. En 2017, ils représentaient seulement 5 milliards de dollars en Afrique subsaharienne et 17 milliards pour les pays du Maghreb, alors que sur la même période, ils étaient de l’ordre de 275 milliards de dollars entre l’Afrique et l’UE, de 200 milliards avec la Chine, de 70 milliards avec l’Inde et de 53 milliards avec les États-Unis. Il semble clair que Vladimir Poutine s’emploie à inverser cette tendance. Et, à n’en pas douter, les possibilités offertes par un partenariat potentiellement fructueux n’auront pas échappé à la sagacité de l’experte en finance que demeure la ministre des Affaires étrangères Sylvie Baïpo-Temon.
Andju Ani