Entretien – Directeur général de l’IPS/Caisse nationale de prévoyance sociale

« Le modèle économique de la CNPS assure la pérennité de nos régimes de retraite »

Visionnaire en matière de management, Charles Denis Kouassi, directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS), explique les bienfaits du modèle économique adopté en 2012 et qui, pour créer de la richesse, s’appuie sur l’épargne et une politique ambitieuse d’investissements.

Il y a 10 ans, la direction de la CNPS a souhaité adopter un nouveau modèle économique. Concrètement, comment ce changement s’est-il traduit ?

Charles Denis Kouassi : En 2012, nous avons abandonné le modèle économique hérité de la France et que l’on appelle « régime géré par répartition pure », où la totalité des cotisations était immédiatement redistribuée aux prestataires. Celui-ci n’étant pas adapté et créant trop de déficits, nous avons proposé de passer l’âge de la retraite de 55 à 60 ans et voulu que le taux de cotisation connaisse un bond de 8 à 12 % en 2012 et à 14 % en 2013. Globalement, il s’agissait d’accroître nos revenus ainsi que de stabiliser et réduire nos dépenses pour créer de l’épargne, donc investir pour créer de la richesse. C’est ce modèle économique qui, présenté au nouveau pouvoir sous la direction du président Alassane Ouattara au sortir de la crise militaro-politique, a été adopté. Dès sa mise en oeuvre en 2012, nous avons connu nos premiers excédents de l’ordre de 8 milliards de FCFA, alors qu’entre 2005 et 2011, nous avions accumulé 200 milliards de FCFA de déficits. Et dès 2013, ce capital est passé à 33 milliards de FCFA, au point d’atteindre 100 milliards en 2019. En 2021, les recettes s’établissent aux alentours de 125 milliards de FCFA et, en 2022, nos projections sont estimées à 140 milliards. Ce cycle de recettes à la hausse devrait se poursuivre ainsi pendant les vingt prochaines années. Quel est l’impact de vos investissements financiers sur la rentabilité de la CNPS ? Avec tous ces excédents cumulés, le portefeuille monétaire de la CNPS, qui s’élevait à 26 milliards de FCFA en 2012, est passé fin 2021, soit en l’espace de neuf ans, à 600 milliards. Le bilan de l’entreprise, qui était de 200 milliards de FCFA en 2012, s’établit aujourd’hui à plus de 1 000 milliards. Les résultats obtenus avec les produits financiers, lesquels étaient de 1 milliard de FCFA en 2012, ont grimpé à 26 milliards en 2021, un capital qui couvre actuellement l’ensemble de notre masse salariale. Cela signifie que nous payons nos salaires non pas avec les cotisations, mais avec les recettes engrangées par les placements des produits financiers. D’ici à 2030, nous espérons que ces produits financiers pourront aussi nous permettre de supporter les revalorisations de retraite auxquelles nous procédons tous les deux ans. De 2014 à 2022, nous avons réalisé, toutes catégories confondues, quatre revalorisations de retraite qui s’élèvent, en cumul, à 25 %. Aucun pays n’a pu réaliser ne serait-ce que la moitié en termes de revalorisation. Mais en quoi spécifiquement le modèle économique que vous avez adopté se révèle-t-il si intéressant pour la CNPS ? Ce modèle économique permet d’assurer la pérennité de nos régimes de retraite. Mais le plus important, c’est qu’avec les avancées apportées par les processus de digitalisation et de robotisation, il y aura dans quelque temps plus de retraités que de travailleurs dans nos pays africains, donc pas suffisamment de travailleurs pour payer les retraites. L’actualité nous apprend que chaque année, le nombre de milliardaires augmente et que, dans le même temps, la pauvreté grandit. Á titre d’exemple, là où le groupe Michelin a 100 000 employés, des géants du Web comme Google ou Amazon emploient 400 000 personnes. Ils font appel à un travail d’expertise et d’intelligence et non à de la main-d’oeuvre. Pour ramener des capitaux, il est donc nécessaire d’investir dans les milieux high-tech, de téléphonie mobile, où l’argent coule à flot et où les bénéfices ne cesseront d’augmenter. Si on ne le comprend pas aujourd’hui, on sera dans l’obligation de changer de système en mettant en place celui du prélèvement par l’impôt par exemple, comme cela s’applique notamment dans un pays comme la France. Quelles sont vos projections sur l’évolution de votre portefeuille monétaire d’ici à 2030 ? Nos excédents détenus par notre portefeuille financier, qui s’élève à 600 milliards de FCFA, seront en 2025, selon nos projections, de l’ordre de 1 000 milliards de FCFA, et le double en 2030, soit 2 000 milliards. Les capitaux que j’avance correspondent à des stocks d’argent en réserve, fruit de l’investissement et du placement, ce qui n’a rien à voir avec l’argent affecté au fonctionnement de la CNPS. Selon nos sources, vous auriez en préparation un ouvrage  pouvant être considéré comme un guide pour les dirigeants d’autres caisses en zone CEMAC ou UEMOA. Pourquoi vouloir partager votre expérience ? C’est important de partager notre expérience et notre expertise, d’expliquer nos grands moments de réforme qui visaient toujours à résoudre les problèmes auxquels était confrontée la société, et enfin de faire comprendre l’impérieuse nécessité d’avoir un statut d’entreprise privée, car on ne peut pas être performant en ayant un statut public. Il faut montrer tous les avantages que procure la construction d’une réserve d’épargne en misant sur des placements en produits financiers. Un seul enseignement à en tirer : la richesse se crée.

Propos recueillis par Serge-Henri Malet

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