Entretien – Directeur général du Trésor, de la Coopération financière et monétaire

Entretien – Directeur général du Trésor, de la Coopération financière et monétaire

« Les investisseurs ont confiance en la signature de l’État camerounais »

Sylvester Moh Tangongho, directeur général du Trésor, de la Coopération financière et monétaire, donne
les raisons du recours au marché financier régional plutôt qu’au marché monétaire pour les levées de fonds depuis 2018, et explique les raisons de la résilience à la crise économique mondiale en zone CEMAC.

Le 6e emprunt obligataire de l’histoire des finances publiques de votre pays lancé en mars dernier à la
Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC) consistait en une opération de mobilisation
de 200 milliards de FCFA. Êtes-vous satisfait des résultats de cette levée de fonds ?

Sylvester Moh Tangongho : Comme vous le soulignez à juste titre, cette année encore, comme les onze précédentes, le Trésor public camerounais a recouru aux ressources du marché des capitaux pour la couverture des besoins liés au financement de la politique d’investissement de l’État et aux gaps ponctuels de trésorerie. Indépendamment du besoin identifié et de l’instrument utilisé, ces différentes émissions de titres publics ont été guidées par une stratégie unique : l’emprunt au moindre coût et à la plus longue maturité. C’est dans cette perspective que forts de l’expérience désormais accumulée, nous avons sollicité des investisseurs en mars dernier sur le marché financier, par appel public à l’épargne, la somme de 200 milliards de FCFA à souscrire sous forme d’obligations du Trésor d’une maturité de 7 ans
rémunérées à coupon 6,25 %. Ce retour vers le marché financier, plus liquide sur la période pour la maturité de long terme sollicitée, semblait donc logique et légitime. Quant aux résultats proprement dits de cet appel public à l’épargne, ils ont été plus que satisfaisants. Les investisseurs ont en effet une fois de plus manifesté leur confiance en la signature de l’État camerounais, en témoigne l’offre de souscription qui a largement dépassé la demande en se situant à 239 milliards de FCFA, soit un taux de couverture de 118 % par rapport aux 200 milliards initialement attendus. Cela a permis au Trésor public de retenir au final une somme de 235 milliards de FCFA destinée à la poursuite de la mise en oeuvre de l’ambitieux programme d’investissement de notre pays. Pourquoi avoir changé de stratégie en réalisant cette opération à la BVMAC, à travers la Douala Stock Exchange (DSX), plutôt qu’à la BEAC (Banque des
États de l’Afrique centrale), une option pourtant souple à coût compétitif ? Ce choix du recours au marché financier après une absence prolongée de près de 4 années, soit depuis octobre 2018, années durant lesquelles nous avons délibérément déserté ce compartiment au profit du compartiment monétaire, s’est justifié par plusieurs raisons : d’une part la diversification de notre portefeuille d’investisseurs, d’autre part les signes d’essoufflement affichés par le marché monétaire de la BEAC après une « sur-sollicitation » qui nous a fourni en 4 ans 1 100 milliards de FCFA de titres à court, moyen et long termes, essoufflement lié aux contraintes prudentielles imposées aux principaux investisseurs que sont les banques. Le Cameroun a de quoi être optimiste, car au-delà de son rôle de pays leader de la zone CEMAC, il connaît des réussites sur le marché financier. Est-ce à dire que la signature camerounaise ne souffre d’aucun défaut de paiement ? En rejoignant en toute modestie votre optimisme quant à la posture leader de l’économie camerounaise dans la sous-région Afrique centrale, tant en termes de dynamisme et de poids que de diversification, je confirme la non-occurrence d’un défaut de paiement de notre dette financière depuis 2010, année d’introduction du Cameroun sur les marchés de capitaux. Par ailleurs, en matière de dette publique en général, le respect de nos engagements vis-à-vis de nos créanciers est vérifiable et les amortissements sont toujours effectués à bonne date, sans retard. Ceci ne relève pas du hasard mais de la ferme volonté des pouvoirs publics de préserver et d’améliorer la signature de l’État, ce qui explique aussi l’engouement des investisseurs pour les titres souverains de l’État du Cameroun. Toutefois, s’il convient de s’en féliciter, la prudence demeure de mise compte tenu des nombreux aléas et chocs exogènes multiformes auxquels l’environnement international expose nos fragiles économies ainsi que des contraintes endogènes qui peuvent parfois grever nos finances publiques. Nous demeurons donc en éveil
et scrutons l’horizon financier en permanence afin de parer à toute éventualité. L’accompagnement des institutions financières internationales partenaires et des pays amis nous est d’un grand soutien en la matière. À fin juin 2022, la dette publique du Cameroun est ressortie à 11 933 milliards de FCFA, soit 18,52 milliards de dollars, selon le rapport de conjoncture mensuelle de la Caisse autonome d’amortissements du pays. Même si ce taux reste en dessous de 50 % du PIB, le ratio dette publique/PIB est de 45,8 %, contre 41,50 % en juin 2021. Á court terme, cela ne peut-il pas pénaliser votre pays dans ses politiques d’investissement ? Les critères de surveillance de la convergence financière des États de l’Afrique centrale établissent à 70 % le plafond d’alerte de l’endettement par rapport au PIB. Comme vous le rappelez fort opportunément, le Cameroun se situe largement en deçà de ce seuil. Par ailleurs, même si vous n’avez pas tort de relever que cet indicateur a connu une progression rapide ces dernières années, il y aurait lieu de souligner que les ressources mobilisées à ce titre ont permis la réalisation d’infrastructures et autres investissements publics d’ampleur, dont beaucoup demeurent en cours de finalisation. Les effets multiplicateurs de ces dépenses en termes de croissance économique, donc de rentrées fiscales, commencent à se faire ressentir progressivement, et leur impact à long terme en sera plus grand dès l’achèvement des projets financés, pour le plus grand bien de l’économie et la satisfaction de nos concitoyens. Au demeurant, la politique d’endettement public demeure prudente, et un effort est fait dans le sens de l’amélioration de la maturation et du choix des projets à fortes externalités positives. S’agissant du portefeuille de la dette de l’État du Cameroun évaluée à 11 933 milliards de FCFA au premier semestre 2022, il est constitué de 65,91 % de dette extérieure et de 34,09 % de dette intérieure. Nos principaux créanciers sont la Banque mondiale, le FMI et la BAD, qui détiennent 28,81 % de la dette, alors que la France et la Chine en détiennent chacune 28,48 %. La dette commerciale extérieure, y compris la dette sur le marché financier international, représente 8,63 % du total. La dette intérieure, y compris celle des organismes divers d’administration centrale, concentre 34,08 % de l’ensemble. Peut-on dire que la zone CFA, unique regroupement d’États africains à partager la même monnaie, ait mieux résisté à la crise économique actuelle que les pays disposant de leur propre monnaie ? Un taux d’inflation de 1,9 % a été constaté en zone CEMAC, contre 6,4 % en zone UEMOA, 11 % en Guinée Conakry, 17 % au Nigeria et 29 % au Ghana. Chaque pays ou groupe de pays a son approche de résilience aux crises, et celles-ci sont fonction de plusieurs facteurs trop nombreux à énumérer dans le cadre du présent échange, même si l’intrication avec l’économie mondiale confronte les gouvernements à des problèmes structurellement ressemblants. Certes, au vu des données que vous avancez, l’on peut en effet dire sans hésiter que les économies des pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) semblent mieux encaisser l’impact inflationniste du choc exogène actuel sur les matières énergétiques. Toutefois, il y a lieu de rester nuancé, car les éléments de maîtrise de l’inflation dans la zone CEMAC résident dans la conjugaison de plusieurs remèdes : instauration d’un bouclier tarifaire sur le prix des matières premières énergétiques, renforcement de la discipline des finances publiques, contingentement de l’importation de certaines denrées pour réduire le déficit de la balance commerciale et son impact sur les avoirs extérieurs, politique d’import-substitution des biens de consommation courante, adoption d’une réglementation contraignante sur le change et les transferts, sans oublier le soutien des institutions et partenaires financiers internationaux… En outre, même si l’inflation est généralement perçue comme favorable aux finances publiques du fait de l’accroissement des recettes de TVA et d’impôts sur les sociétés automatiquement généré par l’augmentation des prix à la consommation et des profits des entreprises en pareilles circonstances, il ne faut pas s’y tromper. Leur épicentre a beau être lointain, les difficultés actuelles de l’économie mondiale sont réelles. Si elle se prolonge, cette inflation importée qui entraîne une dépréciation des principales devises pourra avoir un impact substantiellement négatif sur nos économies. Comme je le relevais, le maintien d’une vigilance accrue sur les finances publiques s’impose, en attendant un éventuel retournement favorable de la conjoncture internationale sur les matières premières énergétiques. Quelles sont vos priorités pour ce qu’il reste à parcourir de l’année 2022 ? Les priorités des finances publiques sont celles de l’agenda politique du Cameroun. En 2022, il est demeuré orienté vers la poursuite du financement des grands projets, et plus largement de la Stratégie nationale de développement à l’horizon 2030, vers le renforcement de la discipline des finances publiques, vers l’amélioration de la liquidité et de la gestion de la trésorerie publique, vers le financement de l’approfondissement du processus de décentralisation, vers l’encadrement et la dynamisation du secteur financier, et enfin vers la poursuite des réformes des finances publiques et la modernisation de l’État.

Propos recueillis par Serge-Henri Malet

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