« Nous luttons contre le mariage forcé et les grossesses d’adolescentes »
Allahoury Aminata Zourkaleini, ministre de la Promotion de la Femme et de la Protection de l’Enfant, détaille les actions du gouvernement en faveur de l’autopromotion des femmes et de la scolarisation des jeunes filles au Niger.
Comment mesurez-vous les avancées en matière de promotion de la femme depuis l’institutionnalisation de la Journée nationale de la Femme nigérienne célébrée le 13 mai ?
Allahoury Aminata Zourkaleini : On peut mesurer les avancées en matière de promotion de la femme depuis qu’a été institutionnalisée cette journée en 1991 à travers la multiplication des initiatives pour assurer l’autopromotion des femmes par des mesures législatives et réglementaires et la mise en oeuvre de politiques, stratégies, programmes et projets allant en ce sens. Á titre illustratif, citons la création en 1996 de la Politique de promotion de la femme, la ratification le 13 août 1999 de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme, l’adoption de la loi sur les quotas relative à la représentation de l’un ou l’autre sexe au poste nominatif (25 %) et électif (10 %) et, le 13 juillet 2008, celle d’une Politique nationale du Genre dont le but est à la fois de corriger les iniquités et inégalités de genre et d’opérationnaliser les principes constitutionnels d’égalité et de non-discrimination. Ajoutons la révision à la hausse de la loi instituant le système de quotas et son adoption en 2014 et en 2019, la révision de la Politique nationale de Genre (PNG), l’élaboration en 2017 d’une Stratégie nationale de prévention des violences basées sur le Genre et de réponse à ces violences ainsi que d’une Stratégie nationale de l’autonomisation économique de la femme, la mise en oeuvre de plusieurs programmes et projets en faveur des femmes ou encore, en 2023, le processus de mise en oeuvre du Conseil national de la femme nigérienne.
Que peuvent apporter les femmes si elles s’impliquent dans la résolution des conflits ?
La femme est une force pour la paix et la réconciliation. On ne peut pas construire une paix durable en oubliant une grande partie de la population. Si la guerre est souvent l’affaire des hommes, la paix est plutôt celle des femmes. Elles jouent un rôle décisif dans la promotion de la tolérance et de la non-violence, car elles sont la première école de vie. Par conséquent, leur apport dans la résolution des conflits est de plusieurs ordres. Dans un processus de paix, l’implication des femmes accroît non seulement la probabilité d’aboutir à la signature d’un accord de paix, mais aussi les chances que cet accord soit mis en oeuvre. Les accords de paix sont à 64 % plus susceptibles de réussir lorsque la société civile y participe, y compris les groupes féminins, et un tiers des pays qui comptabilisent au moins 30 % de femmes parlementaires ont connu des transitions post-conflictuelles démocratiques. Enfin, les communautés touchées par les conflits armés et qui ont connu une reprise économique ainsi qu’une réduction rapide de la pauvreté sont celles où les femmes enregistraient des niveaux élevés d’autonomisation économique. Comment s’applique sur le terrain le Plan d’action national de 2e génération (PAN2) 2020-2024 adopté par votre département ministériel ?
Pour la mise en oeuvre du PAN2, un dispositif de coordination a été institué. Il est composé d’un comité de pilotage national, d’un secrétariat national permanent (SNP) et d’antennes régionales. Actuellement, le SNP en est à sa phase de vulgarisation du PAN2, car nous devons d’abord faire connaître le PAN2 au grand public avant d’entamer les actions concrètes à l’endroit des bénéficiaires.
Afin de renforcer des capacités de votre département ministériel, quel est le montant des ressources budgétaires qui vous sont allouées et bénéficiez-vous d’appuis venant des bailleurs de fonds ?
Le gouvernement est soucieux du bien-être des groupes vulnérables que sont les femmes et les enfants. Comme vous le savez, notre pays consacre une part importante de son budget à la question sécuritaire, avec pour conséquence une forte pression sur le budget général de l’État. Concernant notre ministère, le budget alloué est estimé à 1 milliard de FCFA par an, salaire des agents compris. Bien sûr, c’est en deçà de nos besoins. Cependant, grâce à l’appui des partenaires techniques et financiers qui nous accompagnent, nous arrivons à combler le gap, et certains partenaires se sont engagés sur des programmes destinés à la femme et à l’enfant après la Table ronde de Paris sur le financement du PDES. Parmi ces partenaires, nous pouvons citer la Coopération française sur un programme « Femme, Paix et Sécurité » dédié aux régions de Tahoua et Q Tillabéry. Le document de programme a été élaboré et sa validation est intervenue le mercredi 1er mars 2023 à Niamey. Nous avons également la Coopération allemande avec un programme sur la promotion des droits de la Femme.
La situation de la jeune fille est préoccupante dans le domaine de l’éducation. Concrètement, comment luttez-vous contre le mariage forcé, et comment fonctionne le mécanisme d’appui du centre de la CEDEAO venant en aide aux filles issues des familles vulnérables ?
Avant toute chose, il faut préciser que nous avons initié le programme « Initiative Illimin » qui vise les adolescentes non scolarisées ou déscolarisées, mariées ou non mariées, dans les tranches d’âge 10-14 et 15-19 ans. Il a pour objectif de « lutter contre le mariage forcé, le mariage d’enfants et les grossesses des adolescentes grâce à leur autonomisation ». En réduisant la proportion des enfants qui se marient, on peut limiter les conséquences dramatiques pour les filles, notamment la mortalité maternelle et infantile, la fistule obstétricale, l’abandon scolaire et la pauvreté, mais aussi faire baisser la fécondité et contribuer à mettre le pays sur la voie de la transition démographique. Une autre stratégie visant à faire évoluer la scolarisation de la jeune fille consiste à doter les familles vulnérables de plates-formes multifonctionnelles (PTFM) (1) en vue d’alléger la surcharge de tâches quotidiennes des filles et leur pénibilité, et de ce fait leur permettre de consacrer plus de temps aux études. Avec ce programme, le Niger se trouve sur la bonne voie de l’autonomisation des femmes. Concernant le Centre de la CEDEAO pour le développement du Genre (CCDG) mis en place depuis 2010, il s’agit d’un mécanisme d’appui aux filles en scolarité issues des familles vulnérables. C’est un programme d’appui à la promotion des filles dans les secteurs de la formation spécialisée technique et professionnelle par l’octroi de bourses d’excellence à des filles brillantes mais issues de familles démunies. En effet, tous les ménages ne parviennent pas à offrir à leurs enfants la chance de fréquenter un établissement scolaire compte tenu de l’ensemble des charges qu’exige le désir de satisfaire un tel droit, soit les coûts directs et indirects associés à la prise en charge de l’éducation. La bourse CCDG est donc arrivée à point nommé.
Propos recueillis par Serge-Henri Malet
(1)Impliquant fortement les femmes en zones rurales, la plate-forme multifonctionnelle (PTFM) est un outil de développement d’activités génératrices de revenus grâce aux recettes issues de cet équipement.