Entretien – Ministre des Finances: « Toutes les mesures seront prises pour assurer une dépense juste et efficiente »

Entretien – Ministre des Finances: « Toutes les mesures seront prises pour assurer une dépense juste et efficiente »

Louis-Paul Motaze, ministre des Finances, confirme que le gouvernement va continuer à rationaliser
la dépense publique tout en préservant sa qualité et sa capacité à accompagner le déploiement des projets. Il revient également en détails sur les mesures prises, à l’effet de ramener le niveau de risque de
surendettement de « modéré » à « faible » dans quelques années
.

Dans le budget de l’État qui s’établit à 6 080,4 milliards de FCFA, la décision de réduire de 39,6 milliards les dépenses courantes traduit-elle la volonté du gouvernement de mettre fin à la gabegie administrative ? Cette action se poursuivra-t-elle dans le budget 2023 ?

Louis-Paul Motaze : Permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour l’intérêt que vous portez à la situation des finances publiques du Cameroun et de l’opportunité que vous m’offrez d’éclairer la lanterne de vos lecteurs à ce sujet. Pour répondre à votre question, je voudrais vous indiquer que l’augmentation des dépenses courantes de l’État s’explique non pas par la gabegie administrative, mais du fait des charges constituées essentiellement par les dépenses de personnel et les achats de biens et services. Les dépenses de personnel sont incompressibles, tandis que celles inhérentes à l’achat des biens et services sont modulables en fonction de la conjoncture. Et comme vous le savez, la première moitié de l’exercice budgétaire qui vient de s’achever a été émaillée d’événements inattendus qui ont amené le gouvernement à procéder aux ajustements auxquels vous faites allusion en ce qui concerne les dépenses.
À l’international, il y a en ce moment le conflit russoukrainien qui a induit une hausse des cours mondiaux du pétrole et de bien d’autres matières premières, avec des impacts notables sur la gestion des finances publiques, dont l’indicateur le plus significatif est l’explosion de la subvention à la consommation des produits pétroliers à la pompe. Au plan interne, la grogne des enseignants a également occasionné des dépenses budgétaires inopinées liées à l’allocation d’énormes ressources par l’État afin de satisfaire les revendications des enseignants grévistes. Les coupes opérées sur certaines dépenses, dont celles relatives à l’achat des biens et services, l’ont donc été en vue de mieux maîtriser les effets de ces situations complètement inattendues et qu’aucune prévision budgétaire n’avait anticipées. Je dois tout de même vous rassurer quant à la constance de la politique du gouvernement en matière de dépense publique. Nous sommes convaincus qu’afin d’assurer une conduite plus efficace des politiques publiques nécessaires à l’atteinte des objectifs visés au terme de la première phase de mise en oeuvre de la SND30, notre stratégie à l’horizon 2030, il importe de rationnaliser la dépense publique en veillant à la qualité de la dépense courante et à sa capacité à accompagner la bonne implémentation des grands projets identifiés et programmés. C’est pourquoi toutes les mesures visant à assurer la juste dépense et l’efficience de celle-ci seront prises. En ce qui concerne les dépenses sociales de notre pays, notre politique en la matière reste axée sur le développement du capital humain et l’amélioration du bienêtre
des populations. Les départements ministériels en charge des secteurs sociaux reçoivent par conséquent une dotation substantielle représentant environ 27 % du budget de l’État. La dette du Cameroun va croissant. Fin juin 2021, elle s’élevait à 10 687 milliards de FCFA : 6 922 milliards de dette extérieure et 2 838 milliards de dette intérieure.

Quels sont les efforts consentis pour que la dette publique totale et le ratio dette extérieure/PIB puisse diminuer graduellement ?

La question de la dette publique reste une préoccupation importante pour le gouvernement. C’est pour cette raison que nous réalisons à séquence semestrielle une analyse de viabilité de la dette (AVD). Ces analyses montrent que la dette du Cameroun demeure viable, même si le risque de surendettement est élevé. Ce résultat s’explique par la dégradation, suivant la méthodologie du cadre de viabilité de la dette, de la capacité d’endettement du Cameroun de « moyen » à « faible », et subséquemment de la révision à la baisse des seuils d’endettement applicables. C’est donc dire que nous sommes déterminés à ramener le risque de surendettement à un niveau modéré voire faible. Pour ce faire, certaines mesures ont d’ores et déjà été prises ou sont à prendre à très court terme : élargissement progressif de l’assiette fiscale, accroissement de la capacité de mobilisation des recettes d’exportation renforcée par l’accélération de la politique d’importsubstitution, poursuite d’une politique budgétaire prudente permettant de minimiser le déficit primaire, ou encore amélioration de l’indice composite du pays utilisé pour la détermination des seuils d’analyse de la viabilité de la dette publique : la croissance économique, le niveau des réserves internationales, la gouvernance économique et financière ainsi que le climat des affaires. Par ailleurs, nous appliquons désormais une politique de financement du déficit budgétaire efficace et prudente. Cette politique s’appuie sur l’adoption et la mise en oeuvre d’une stratégie d’endettement et de gestion de la dette publique à moyen terme visant d’une part à satisfaire à moindres coûts et risques les besoins de financement de l’État et ses obligations de paiement, et d’autre part à faciliter le développement et le bon fonctionnement de marchés primaire et secondaire performants pour les titres publics intérieurs. Enfin, le recours aux financements par voie de partenariats public-privé (PPP) pour les projets à rentabilité avérée reste envisageable.

Avec un taux de couverture de plus de 250 % et un taux d’intérêt de moins de 6 %, la réussite du second eurobond de l’État du Cameroun en 2021 sur les marchés financiers internationaux confirme-t-elle la qualité de la signature de l’État camerounais et dans quelle mesure ce mécanisme permet-il de financer l’économie ?

Je dois dire que ce n’était pas la première intervention du Cameroun sur les marchés financiers internationaux. Nous y sommes allés pour la première fois en 2015, mais avec un résultat un peu moins satisfaisant, ce qui signifie que la qualité de la signature seule ne suffit pas. Pour parvenir au résultat honorable obtenu en 2021, nous avons donc ajouté à la qualité de la signature, qui est une évidence, d’autres atouts tels qu’une bonne préparation de l’opération, notamment de la documentation y afférente, une très bonne prestation au road-show de la délégation camerounaise, et enfin la forte professionnalisation de l’équipe d’accompagnement. Pour ce qui est du financement de l’économie, il convient de préciser que l’objectif de cette opération n’était pas à proprement parler de financer l’économie mais de racheter l’eurobond de 2015. Techniquement, cela s’appelle la gestion proactive de la dette, c’est-à-dire qu’au lieu d’attendre la date d’échéance d’une dette afin de procéder à son remboursement, on étudie le marché pour explorer les pistes d’un rachat – ou remboursement anticipé – de la dette pour qu’elle soit moins coûteuse. Ainsi, le rachat de l’eurobond de 2015 a permis au Cameroun de limiter les risques de refinancement, d’étendre la maturité de la dette et de réduire son coût moyen. Toutefois, l’État camerounais recourt assez régulièrement aux marchés tant monétaire que financier pour le financement de son budget. Les ressources issues de ces diverses interventions sont généralement utilisées pour le financement des projets de développement structurants dans des secteurs tels que l’énergie, le transport les télécommunications, l’agriculture, le sport, etc. Le 22 juin dernier, vous avez effectué une visite sur le site de Natchtigal où s’opère la construction d’un barrage et d’une usine hydroélectrique de 420 MW sur le fleuve Sanaga.

En quoi ce projet est-il important pour le chef de l’État et pour le peuple camerounais ?

Le Cameroun, sous l’impulsion de son président de la République Paul Biya, ambitionne de devenir un pays industrialisé à revenu intermédiaire à l’horizon 2035, avec un taux de pauvreté inférieur à 10 %. Pour y parvenir, il devra impérativement accroître l’accès à l’énergie. C’est à ce titre que le secteur énergétique fait partie des priorités identifiées dans la SND30, qui met en avant la nécessité de diversifier la production, d’augmenter la productivité et de réaliser de vastes projets d’infrastructure. Fort d’un potentiel hydroélectrique estimé à plus de 12 000 MW – le troisième en Afrique subsaharienne –, le Cameroun doit développer ses ressources pour faire baisser le coût de l’électricité et accroître sa compétitivité économique. C’est dans cette optique que se situe l’édification du barrage hydroélectrique de Nachtigal, qui sera la prochaine infrastructure à bas coût à voir le jour sur le fleuve Sanaga, l’objectif étant d’améliorer l’accessibilité et la fiabilité de l’approvisionnement en énergie renouvelable dans tout le pays. Émanant de la volonté globale de réduire le coût de l’électricité et d’en faire une ressource durable, le barrage augmentera les capacités installées de 30 % et renforcera l’offre d’énergie verte. Lorsqu’elle sera opérationnelle, cette infrastructure permettra à notre pays d’économiser chaque année 100 millions de dollars supplémentaires de coût de production. Le projet Nachtigal, avec ses 420 MW à injecter dans le réseau électrique national, marque donc une nouvelle étape du plan gouvernemental visant à améliorer l’accès à l’électricité sur le territoire national. Les besoins de financement des économies africaines en 2025 sont estimés à environ 285 milliards de dollars.

Face à cette urgence, quelle réponse a apporté le sommet sur les économies africaines tenu à Paris en 2021 à l’iniative de la France, et auquel vous avez pris part à la fois comme grand argentier et comme représentant du président Paul Biya ?

J’ai effectivement eu l’insigne honneur de représenter le chef de l’État au sommet sur le financement des économies africaines tenu en mai 2021 à Paris. Il faut dire que plusieurs sujets étaient en discussion au cours dudit sommet, et je ne saurais donc les aborder de façon exhaustive. Mais puisque vous m’interrogez sur les besoins de financement de nos économies, je voudrais d’abord vous rappeler que l’objectif de ce sommet était de lancer un « New Deal », selon l’expression du président français Emmanuel Macron, afin de relancer les économies africaines asphyxiées par les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19 L’ambition était donc de récolter 100 milliards de dollars pour combler en partie le besoin de financement de l’Afrique. Il convient à ce sujet de noter que bien que le continent africain ait été relativement épargné sur le plan sanitaire, il paie un très lourd tribut économique et social faute d’avoir pu, comme les pays les plus riches, lancer d’impressionants plans de relance. Selon le FMI, il manquait alors près de 300 milliards de dollars à un continent qui a besoin d’investir massivement pour enrayer la pauvreté et développer les infrastructures tout en affrontant le changement climatique et la menace djihadiste. Il est toutefois a déplorer qu’à l’issue du sommet, aucun engagement ferme n’ait été annoncé sur cet aspect des choses. La seule la promesse qui ait été faite a été celle d’engager des discussions autour des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI : équivalant à une planche à billets du FMI, ces actifs monétaires peuvent être convertis en devises et dépensés sans créer de dette. La communauté internationale s’était déjà auparavant accordée sur le principe d’une émission globale de DTS de 650 milliards de dollars, dont seuls 33 milliards devaient mécaniquement revenir à l’Afrique par le jeu des quote-parts au sein du FMI. Un montant que le président Macron a jugé trop dérisoire, et nous partageons amplement ce point de vue. Aussi a-t-il appelé les pays riches à allouer aux pays africains une bonne partie de leurs DTS pour atteindre un total de 100 milliards de dollars. Nous nous félicitons d’ores et déjà de l’engagement de la France à prêcher par l’exemple sur ce point et nous espérons qu’elle pèsera de tout son poids pour amener les autres pays riches à faire de même.

Propos recueillis par Serge-Henri Malet

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