Entretien – Président de l’Association des sociétés d’assurances du Cameroun

Entretien – Président de l’Association des sociétés d’assurances du Cameroun

« Notre stratégie vise à optimiser et à densifier les assurances obligatoires »

Entre autres priorités, Thierry Kepeden, directeur général d’AXA Cameroun et président de l’Association des sociétés d’assurances du Cameroun (ASAC), a fait de l’assainissement du marché, de l’optimisation des assurances obligatoires existantes et de la mise en place de nouvelles assurances obligatoires son cheval de bataille.

Depuis le 3 juin 2021, vous êtes pour deux ans président de l’ASAC. Augmenter le chiffre d’affaires (CA)
du secteur des assurances au Cameroun est l’une de vos premières missions. Quelle stratégie allez-vous
déployer ?

Thierry Kepeden : En effet, mes collègues assureurs membres de l’ASAC m’ont fait l’insigne honneur de me confier la présidence de notre association pour un mandat de deux ans. Je saisis cette occasion pour leur renouveler ma reconnaissance concernant cette marque de confiance en ma modeste personne. Les défis sont nombreux. Vous évoquez l’augmentation du CA, ambition légitime de développement et de croissance au service de la rentabilité des entreprises qui viennent de consentir, pour certaines, une augmentation de capital importante. Le taux de pénétration de l’assurance au Cameroun, inférieur à 2 % comme presque partout en Afrique, laisse bien voir qu’il y a d’immenses niches encore à explorer. C’est la raison pour laquelle notre mandat se décline autour de trois axes majeurs : l’assainissement du marché, et principalement de la branche automobile, le développement du CA grâce à l’optimisation de la souscription des risques obligatoires ainsi qu’à la mise en place de nouveaux risques obligatoires et d’un cadre fiscal général incitatif pour le développement de l’assurance-vie, et enfin l’arrimage du marché à certaines exigences de la CIMA comme l’effectivité du Fonds de garantie automobile.

Vous tenez à assainir le marché en luttant contre la fraude aux attestations d’assurance automobile. Sur ce volet, quelles actions comptez-vous engager ?

L’assainissement du marché, et notamment la lutte contre la fraude et la non-assurance, constitue un axe prioritaire de notre plan d’action. Il s’agit de changer les comportements répréhensibles au niveau de tous
les acteurs – assureurs, intermédiaires et clients – pour que tous adoptent de meilleures pratiques. Le premier domaine concerne la branche automobile. L’heure n’est pas au bilan, mais nous avons d’ores et déjà pris un train de mesures : la centralisation de la commande, le changement de couleur des attestations avec des sécurités renforcées et la régulation de l’approvisionnement des compagnies, la centralisation des données, et enfin la digitalisation du contrôle, qui s’achèvera par la dématérialisation de l’attestation d’assurance automobile. En ce moment, nous travaillons étroitement avec notre tutelle pour la mise en place du contrôle digitalisé de l’assurance automobile au moyen d’un code USSD. Ce contrôle de l’assurance automobile sur la voie publique se fera donc sous peu, avec un téléphone portable pour la connexion à la plate-forme. Nous avons également créé une cellule juridique spécialement dédiée au suivi du contentieux en cas de fraude à l’assurance automobile, car nous sommes convaincus que des sanctions judiciaires auront un effet dissuasif sur les contrevenants. Pour répondre à une attente qui datait, nous avons mis en place le Fichier des risques aggravés, ce qui représente une avancée importante en matière d’application du bonus et du malus prévus par le tarif en vigueur et de suivi des victimes afin d’éviter plusieurs indemnisations aux mêmes personnes sur un même sinistre. Un fichier des personnes décédées évite qu’elles ne fassent l’objet de plusieurs déclarations de sinistres, le suivi des véhicules volés évite leur utilisation par des tiers ou même par les assurés pourtant déjà indemnisés, et enfin le fichage des véhicules gravement accidentés évite que les épaves puissent servir à des indemnisations frauduleuses multiples…

Vous comptez pousser la réflexion pour la mise en place de nouvelles assurances obligatoires. De quoi s’agit-il ?

Notre stratégie vise à optimiser la souscription des assurances obligatoires existantes et à la densifier par la mise en place de nouvelles. Pour les assurances obligatoires existantes, nous pouvons citer comme exemples, sans être exhaustif, les assurances de responsabilité civile (RC) professionnelle qui concernent surtout les professions libérales, l’assurance tous risques chantier (TRC) pour la construction des immeubles d’une valeur au moins égale à 100 000 000 FCFA ainsi que la RC décennale, et enfin l’assurance location des conteneurs (ALC) instituée par la loi de finances 2018 en son article 10 et qui reste à ce jour en attente du texte d’application. Pourtant, cette innovation contribuerait à soulager la trésorerie des opérateurs économiques encore obligés de procéder à des dépôts importants de fonds pour les cautions relatives à l’enlèvement des conteneurs, toute chose qui rallonge le temps de passage dans les ports du Cameroun. S’agissant des nouvelles assurances obligatoires, nous pouvons citer la couverture des biens de l’État – automobile, bâtiments, diverses RC –, la multirisque habitation, ou encore la couverture en incendie des espaces publics : marchés, stades, salles de spectacles… La mise en place des assurances obligatoires a un objectif sur le plan économique, la protection du patrimoine, et sur le plan social, la protection des tiers. L’ampleur des dommages consécutifs aux incendies des marchés, des bureaux et des habitations ainsi qu’aux effondrements d’immeubles en construction et aux inondations n’est plus à démontrer. Nous projetons donc d’entrer en dialogue avec certains corps de métiers pour une vulgarisation et une sensibilisation à l’obligation d’assurance liée à leurs professions respectives. Nous sollicitons aussi l’État pour que des mécanismes de contrôle direct et renforcé soient mis en place et activés. Toutes ces assurances devraient être intégrées dans les listes des documents exigibles pour les dossiers administratifs comme les dossiers d’appels d’offres, la délivrance d’un permis de bâtir, l’enregistrement des contrats de bail ou pour tout paiement effectué par les administrations publiques.

Avec toutes ces réformes courageuses, le CA du marché camerounais pourrait-il talonner celui du marché ivoirien, comparable au Cameroun à plusieurs égards, qui s’est établi à 463 milliards de FCFA en 2021 ?

 Comme je le relevais déjà en m’adressant au ministre des Finances dans mon discours de prise de fonction, à population, classe moyenne et pouvoir d’achat comparables, le CA du marché ivoirien en 2021 représente plus du double du marché camerounais, qui se situe à 230 milliards de FCFA, lui-même talonné par le Sénégal avec 226 milliards de FCFA. L’objectif de croissance de notre marché situe l’assainissement de la branche automobile que nous venons d’évoquer au premier rang des défis à relever durablement. Les statistiques de l’année 2021 nous donnent entièrement raison, avec une progression du CA de la branche automobile de 6 milliards par rapport à l’exercice précédent. Il s’agit maintenant d’aller plus loin dans les autres chantiers que j’ai déjà évoqués, entre autres l’application effective et la densification des assurances obligatoires ainsi que la création d’un véritable cadre fiscal incitatif pour le développement de l’assurance-vie.

 Qu’attendez-vous du gouvernement, notamment de votre ministère de tutelle ? Toutes ces réformes ne nécessitent-elles pas, avant leur application, de faire l’objet d’une loi votée par les députés ?

Nous sommes dans la logique du dialogue public-privé et faisons confiance à la qualité d’écoute du gouvernement. Nous savons également pouvoir compter sur le Parlement pour légiférer en cas de besoin. Ce fut déjà le cas pour l’ALC. Je viens d’évoquer notre attente sur le contrôle effectif de l’obligation d’assurance, mais permettez-moi d’insister sur une préoccupation majeure relative à la fiscalité des assurances-vie et maladie. S’agissant de l’assurance-vie, le développement de cette branche est aujourd’hui tributaire de sa capacité à mobiliser l’épargne de longue durée. Le transfert de la gestion de l’indemnité de fin de carrière (IFC) des entreprises aux assureurs vie a boosté certains marchés de l’espace CIMA. C’est l’une des raisons pour lesquelles le CA du marché ivoirien en assurance-vie, de 205 milliards de FCFA, représente 2,65 fois celui du marché camerounais, de 77 milliards de FCFA en 2021. En ce qui concerne l’exonération de la TVA pour les contrats et les commissions d’assurance-vie et maladie, il faut relever que le gouvernement a bien voulu accéder partiellement à la doléance du secteur des assurances en supprimant la TVA sur les contrats d’épargne en assurance-vie en 2019. Nous souhaitons que cette mesure soit étendue aux contrats de prévoyance en assurance-vie et à l’assurance-maladie des particuliers et des entreprises du régime simplifié pour encourager et aider les populations à faibles revenus à accéder à l’épargne et aux soins de santé. Les effectifs de l’emploi dans le secteur des  assurances s’élèvent à 1 600 emplois directs, avec un réseau de plus de 200 agents généraux et courtiers.

Que va faire l’ASAC pour rapprocher les Camerounais des compagnies d’assurance ?

Commençons par les chiffres par rapport au PIB. Au 31 décembre 2021, le secteur des assurances possède 510 milliards d’actifs qui représentent près de 2,05 % du PIB. Cette masse d’actifs, constituée essentiellement d’obligations d’État, de dépôts en banque et d’immobilier, permet aux assureurs de jouer leur rôle d’investisseurs institutionnels au service du financement de l’économie nationale. Les chiffres de l’emploi en font de surcroît un secteur à haute intensité de main d’oeuvre, avec toutes les conséquences que cela génère sur la dynamique de l’économie. Je terminerai en disant que le meilleur vecteur de rapprochement entre nos compatriotes et les compagnies d’assurances est l’amélioration de la cadence de règlement des sinistres. En effet, la quasi-totalité des actions menées par l’ASAC dont la centralisation, la  digitalisation et la mise en place des fichiers centraux vise à faciliter l’accessibilité des assurés et des bénéficiaires des contrats d’assurances à l’indemnisation. Nous sommes convaincus que cette démarche est indispensable pour une meilleure perception de notre profession et pour le développement de la culture de l’assurance.

Propos recueillis par Serge-Henri Malet

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