Entretien – Ministre de l’Eau et de l’Assainissement - « Le budget de mon département a triplé en 12 ans »

Serigne Mbaye Thiam, ministre de l’Eau et de l’Assainissement, évoque les réalisations de son département chiffres à l’appui, et le moins que l’on puisse dire est que ce secteur obtient des résultats mesurables. Les projets pour 2024 attestent d’ailleurs de la vitalité de l’institution et de l’importance qu’elle revêt.

Serigne Mbaye Thiam Le président Macky Sall a fait de l’eau une priorité du Plan Sénégal Émergent (PSE). Quelles ont été les réalisations structurantes durant ces cinq dernières années ?

 

Serigne Mbaye Thiam : Merci de me donner l’occasion de parler du secteur de l’eau et de l’assainissement qui, comme vous le soulignez, revêt une grande importance pour le chef de l’État : à plusieurs reprises, il a rappelé combien il tenait à ce que la population sénégalaise évolue dans un environnement sain, tant dans les villes que dans les campagnes, et bénéficie en quantité suffisante d’une eau de qualité. 

Pour répondre à votre question, je dirai que la plus grande réalisation de ces cinq dernières années est la troisième usine de traitement d’eau potable de Keur Momar Sarr. Les travaux ont été lancés le 18 décembre 2017 et se sont terminés le 21 avril 2021. La station, une usine dont la capacité de production est de 200 000 m3 /jour, a été inaugurée par le chef de l’État le 10 juillet 2021. Il y a ensuite l’usine de dessalement des Mamelles, ainsi que l’on nomme deux collines à l’ouest de Dakar : cette usine actuellement en construction aura une capacité de production initiale de 50 000 m3/jour pouvant être portée à terme à 100 000 m3. Enfin, ces cinq dernières années ont été marquées par le parachèvement du cycle des phases d’urgence initié en 2012. Entre 2018 et 2019, cette phase transitoire a été consolidée dans le cadre du Programme spécial de renforcement de l’alimentation en eau potable de Dakarinitié débuté trois années plus tôt. Sur un autre plan, il a fallu relever le défi de la réduction des pertes d’eau : dans ce contexte, 316 km de conduites ont été renouvelés rien qu’à Dakar.

 

 

Comment a évolué le taux de desserte en eau potable dans les centres urbains et ruraux ?

 

Pour l’évolution du taux de desserte dans les centres urbains et périurbains, le Sénégal fait partie des rares pays africains à avoir atteint les OMD dès 2015, avec un taux d’accès de 100 % à Dakar et de 92 % dans les centres urbains de l’intérieur. Je rappelle qu’en 2005, le taux moyen d’accès à l’eau était de 85 %, ce qui prouve qu’un grand effort a été consenti. Pour le rural, des efforts significatifs aussi ont été faits. Afin de redynamiser ce sous-secteur, il y a eu une réforme en 2014, avec comme principale innovation le recours à des délégations de service public sur la base d’un système d’affermage. Une évaluation en a d’ailleurs montré toute la pertinence.

Maintenant, les priorités sont la réalisation et la réhabilitation d’ouvrages hydrauliques ainsi que l’extension des réseaux d’adduction d’eau potable, avec environ 1,5 million de personnes impactées, à quoi s’ajoutent les transferts d’eau à partir de champs captants pour alimenter des zones où la qualité laisse à désirer : ce sont alors environ 3 300 000 Sénégalais qui pourront en bénéficier d’ici à 2040, sachant qu’en 2022, le taux d’accès à l’eau potable en milieu rural était de 96,9 %, ce qui montre une progression notable. Je souligne que dans tous ces projets, les dimensions environnementale et sociale occupent une place centrale. 

 

« Le taux d’accès à l’eau potable est de 100 % à Dakar et 92 % dans les centres urbains de l’intérieur. »

 

Comment évolue le Projet intégré sécurité de l’eau et de l’assainissement (PISEA), qui est en cours d’instruction et qui comporte un volet agricole ? 

 

Ce projet émane d’une étude sur la sécurité de l’eau à l’horizon 2050 menée en prélude au 9e Forum mondial de l’eau organisé en 2022 à Dakar. D’un montant de 500 millions de dollars US, le PISEA comporte plusieurs composantes : la gestion intégrée des ressources en eau, l’assainissement et l’eau potable ainsi qu’un volet agricole, comme vous le mentionnez. Il permettra une gestion intégrée des eaux urbaines dans le triangle Dakar-Mbour-Thiès, avec le développement de l’assainissement et l’utilisation des eaux usées traitées pour l’agriculture. Cette dernière composante prévoit le renforcement de l’irrigation, ce qui, en retour, aura un impact positif sur les inondations à Dakar. Un volet gestion durable des ressources en eau sera aussi développé, avec la mise en œuvre des schémas directeurs d’aménagement des eaux, le renforcement de la régulation et de la qualité de l’eau du lac de Guiers, à 232 km de Dakar. L’intensification du suivi des ressources en eau est également prévu.

Pour la composante agricole, elle vise à développer des activités d’irrigation compte tenu du niveau de stress hydrique et des problèmes d’intrusion saline. Elle inclut aussi la prise en charge des questions d'acceptabilité de la réutilisation des eaux traitées. Mon collègue chargé de l’Agriculture pourrait d’ailleurs vous en dire plus sur ce volet.

 

« La Sen’Eau est bien une entreprise sénégalaise détenue à 55 % par des capitaux nationaux. »

 

Que répondez-vous à ceux qui critiquent le fait que la gestion de l’eau soit confiée à des sociétés étrangères ou se plaignent de la cherté des factures d’eau, plaidant pour la baisse des prix par le fermier Sen’Eau ?

 

Malgré les clarifications apportées, il est souvent affirmé que la Sen’Eau est une entreprise étrangère alors qu’en fait, Sen’Eau est bien une entreprise sénégalaise détenue à 55 % par des capitaux nationaux, dont 24 % pour l’État, 11 % pour les salariés et 25 % pour le privé. Le groupe SUEZ, choisi comme partenaire, ne détient que 45 % du capital. En comparaison, le fermier sortant était la propriété de capitaux étrangers à 65 %. Quant à la cherté de l’eau, il faut savoir que les tarifs n’ont pas évolué depuis 2015. Au contraire, la subvention aux ménages a fortement augmenté, avec notamment une exonération de la TVA sur les deux premières tranches du tarif des clients domestiques. Le montant moyen d’une facture client domestique reste stable autour de 13 000 FCFA par bimestre.

 

Quelles seront vos priorités en 2024 au niveau des chantiers de l’eau ?

 

Le budget 2024 de mon département, qui a triplé en 12 ans, est de 132 391 970 449 FCFA. Cette année, il s’agira de renforcer les acquis dans un contexte de changement climatique, d’accentuation des catastrophes naturelles et d’accroissement des besoins en services durables d’eau et d’assainissement.

En matière d’hydraulique urbaine, les actions que nous allons mener s’inscrivent dans la continuité des projets d’alimentation des centres urbains et périurbains, avec la poursuite des transferts d’eau depuis le lac de Guiers ou d’autres sources ainsi que la construction d’une usine de dessalement dont j’ai déjà parlé. Le département continuera les travaux entrepris pour renforcer la production d’eau pour les centres déficitaires, poursuivra son programme de branchements sociaux et accordera une attention particulière à la qualité de l’eau, déjà remarquable puisque fin 2022, le taux de conformité physico-chimique était de 99,45 %.

Pour l’hydraulique rurale, plusieurs projets permettront de prendre en charge la réhabilitation du patrimoine dans certaines régions, ce qui suppose la réalisation et la réhabilitation d’ouvrages hydrauliques, l’extension du réseau d’adduction ou encore le renforcement de l’approvisionnement dans plusieurs localités. Une attention particulière sera accordée à la mobilisation des eaux de surface grâce à l’élaboration de schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux : dans le cadre de la maîtrise des eaux de surface, au moins six grands projets seront poursuivis pour un aménagement global de bassins versants.

 

« Des efforts soutenus sont déployés pour réduire les écarts entre zones urbaines et zones rurales. »

 

Et qu’en est-il de l’assainissement ?

 

Dans le domaine de l’assainissement, il y a la dépollution de la baie de Hann, mais plusieurs autres grands projets seront poursuivis, comme le renouvellement d’un grand collecteur à Dakar et la réalisation de 100 km de réseau, le programme d’assainissement de 10 grandes villes ainsi que plusieurs autres projets plus localisés. En milieu rural, les travaux déjà entrepris en matière d’assainissement des eaux pluviales seront finalisés, et des latrines et autres ouvrages d’assainissement seront construits, notamment dans le cadre du Projet eau et assainissement en milieu rural.

Comme vous pouvez le constater, depuis plus d’une décennie, des efforts soutenus sont déployés non seulement pour suivre le rythme d’expansion urbaine et démographique, mais également pour réduire les écarts entre zones urbaines et zones rurales, conformément au principe d’équité territoriale et sociale qui constitue un pilier de l’action gouvernementale. Pour terminer, permettez-moi de vous remercier pour cet entretien qui m’a permis de parler, sans être exhaustif, des réalisations dans le secteur de l’eau et de l’assainissement, réalisations très importantes mais pas toujours visibles.

 

Propos recueillis par Andju Ani

BIO

Serigne Mbaye Thiam est ministre de l’Eau et de l’Assainissement depuis le 7 avril 2019, tout en ayant parallèlement assumé les hautes fonctions de président du Conseil des ministres de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) de décembre 2019 à juillet 2023.

Né le 28 décembre 1957 à Keur Madiabel, au sud-ouest du Sénégal, à 33 kilomètres de Kaolack, non loin de la frontière avec la Gambie, il a effectué ses études élémentaires et secondaires dans son pays, notamment au Prytanée militaire Charles Ntchoréré de Saint-Louis. Il a poursuivi en France des études supérieures sanctionnées par un diplôme d’études supérieures commerciales, administratives et financières de l’École supérieure de commerce et d’administration des entreprises de Rouen – Neoma Rouen Business School – et par un diplôme d’expertise comptable de l’État français.

Parmi les éléments saillants de sa carrière professionnelle figurent le poste de directeur administratif et financier du port autonome de Dakar ainsi que le métier d’expert-consultant en finances, comptabilité et gestion pour de nombreux pays africains. 

Au plan politique, il a assumé les mandats de conseiller régional et vice-président du Conseil régional de Kaolack, dans sa région natale. Il a également été député, vice-président et rapporteur général de la commission de l’Économie et des Finances de l’Assemblée nationale. Du 4 avril au 29 octobre 2012, il a été en charge du portefeuille ministériel de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dans le gouvernement de Abdoul Mbaye, tout en étant porte-parole du gouvernement. Enfin, il a été appelé à ses actuelles responsabilités après une longue période de presque sept ans comme ministre de l’Éducation nationale, du 29 octobre 2012 au 7 avril 2019, période durant laquelle il a été nommé, en mai 2018, vice-président du conseil d’administration du Partenariat mondial pour l’éducation. Par ailleurs, entre 2019 et 2021, il a été membre de la commission internationale portée par l’UNESCO et composée de quinze leaders d'opinion prestigieux devant réfléchir sur le futur de l’éducation à l’horizon 2050.