Entretien – Président de la Haute Autorité pour la bonne gouvernance - « En 2023, la HABG va amplifier la répression des actes de corruption »

N’Golo Fatogoma Coulibaly, président de la Haute Autorité pour la bonne gouvernance (HABG), explique comment son institution s’organise pour faire reculer la corruption en Côte d’Ivoire.

Comment définir le rôle et les missions assignées à la Haute Autorité pour la bonne gouvernance ?

 

N’Golo Fatogoma Coulibaly : La Haute Autorité pour la bonne gouvernance (HABG) est une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière. Elle a été créée par l’ordonnance n° 2013-660 du 20 septembre 2013 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption et les infractions assimilées.

Ainsi, elle est chargée de la mise en œuvre de dix-huit missions décrites à l’article 4 de l’ordonnance n° 2013-661 du 20 septembre 2013 fixant les attributions, la composition, l’organisation et le fonctionnement de la Haute Autorité pour la bonne gouvernance. Il s’agit entre autres d’élaborer et de mettre en œuvre la Stratégie nationale de lutte contre la corruption, de coordonner et superviser la mise en œuvre des politiques de prévention et de lutte contre la corruption et d’en assurer le suivi, d’éduquer et de sensibiliser la population sur les conséquences de la corruption, de mener des investigations sur les pratiques de corruption, d’identifier les auteurs présumés et leurs complices et d’initier les poursuites, ou encore de recevoir les déclarations de patrimoine des assujettis à la déclaration de patrimoine. Il lui incombe aussi de recueillir, de centraliser et d’exploiter les dénonciations et plaintes dont elle est saisie, d’évaluer périodiquement les instruments et les mesures administratives afin de déterminer leur efficacité dans le domaine de la prévention et de la lutte contre la corruption, et enfin de contribuer à la moralisation de la vie publique et de consolider les principes de bonne gouvernance ainsi que la culture du service public.

 

 

La famille ZONETT, c’est le titre du dessin animé qui a été lancé l’année dernière par la HABG. Combien a coûté cette série composée de 26 capsules et quelle est sa cible ? Avez-vous des retours sur son impact ? Pourquoi avoir choisi un vecteur de communication tel que ce film éducatif ?

 

 

La famille ZONETT est une série animée qui raconte l’histoire de deux familles aux comportements diamétralement opposés, dont l’une, nommée la famille ZONETT et héroïne du film, fait preuve d’un comportement intègre et l’autre, appelée la famille MALO, brille par un comportement irresponsable. Il faut indiquer que les titres sont issus de la notion d’honnêteté pour ZONETT et de malhonnêteté pour MALO. La série s’adresse à toutes les franges de la société, principalement aux enfants et aux jeunes mais surtout les personnes frappées d’illettrisme en raison du taux élevé d’analphabétisme dans le pays. La Haute Autorité pour la bonne gouvernance entend par cette série éduquer et sensibiliser la population sur les conséquences de la corruption, conformément à sa mission de prévention et de lutte contre ce fléau. Les médias audiovisuels et en ligne constituant de nos jours des canaux de communication efficaces et puissants pour porter des messages forts, il fallait les solliciter pour atteindre les jeunes. Des déclinaisons en bandes dessinées et en dépliants gratuits étaient prévues.

La famille ZONETT, premier dessin animé ivoirien engagé contre la corruption, traite de ce fléau sous diverses manifestations et est composé d’épisodes qui durent moins de cinq minutes chacun, ce qui devrait pouvoir capter facilement l’attention des jeunes et des adultes. Le projet de sensibilisation par le biais du dessin animé est composé de plusieurs éléments de sensibilisation et d’éducation des populations. Les treize épisodes de ZONETT, qui ont coûté quelques millions de FCFA, représentent une portion de l’investissement couvrant de nombreuses déclinaisons sur des affiches, cahiers, jeux téléchargeables et bandes annonces défilantes.

Les treize premiers épisodes disponibles ont été diffusés sur les antennes de la télévision nationale RTI 1 et ont également été relayés de façon permanente par les réseaux sociaux, notamment YouTube et Facebook. Les épisodes les plus vus sont l’épisode 13 « Un agent intègre » et l’épisode 12 « Payons nos impôts ». En termes d’interactions et réactions, il n’y a eu aucune icône négative : la quasi-totalité des avis et commentaires recueillis estime que cette série est la bienvenue car elle permet à tous les membres de la société de connaître et de reconnaître réellement les cas de corruption et autres infractions assimilées que subissent au quotidien les populations dans tous les secteurs d’activité, et d’y remédier avec les conseils et moyens de dénonciation.

Il est prévu d’intensifier les projections de proximité dans les établissements, dans les campagnes de sensibilisation faites par les Comités locaux d’intégrité installés sur l’ensemble du territoire national et dont la mission est de surveiller et de dénoncer les cas de corruption observés dans leur localité. Les épisodes sont également projetés au cours de leur campagne de sensibilisation auprès des populations.

 

« En perspective, l’introduction dans le système éducatif d’un enseignement sur la corruption. » 

 

D’autres initiatives pédagogiques pour sensibiliser la population sont-elles prévues ou en réflexion ?

 

En effet, d’autres initiatives pédagogiques sont en cours d’exécution, notamment le projet d’introduction dans tous les programmes d’enseignement en Côte d’Ivoire de curricula et de modules de formation sur la lutte contre la corruption. Au regard des conséquences néfastes de la corruption sur les citoyens et sur l’ensemble des secteurs d’activité, il fallait proposer un programme visant le changement des mentalités et des comportements pour atteindre l’Ivoirien nouveau épris de valeurs d’intégrité et de probité, depuis la petite enfance à la maternelle jusqu’à l’université à l’âge adulte. Ainsi, des manuels scolaires et des guides pédagogiques ont été élaborés, et l’enseignement de la lutte contre la corruption est en cours d’expérimentation depuis bientôt quatre ans dans les écoles de formation des fonctionnaires et agents de l’État : l’École nationale d’administration (ENA) et l’Institut national de formation judiciaire (INFJ) à travers l’École de magistrature et l’École des greffes.

Par ailleurs, la HABG a entrepris une approche de proximité en matière de sensibilisation en contribuant à la mise en place, dans les régions et départements, de cadres de surveillance de la corruption appelés Comités locaux d’intégrité. Ces instruments permettent aux acteurs de la société civile de jouer pleinement le rôle que leur confère le dispositif de prévention et de lutte contre la corruption, en l’occurrence de sensibiliser les populations. Cette initiative a été retenue par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) comme bonne pratique à partager avec les autres pays. Il existe à ce jour 36 Comités locaux d’intégrité installés dans tous les chefs-lieux de régions et quelques autres localités.

En outre, pour adresser la question de la survenue de conflits d’intérêts, notamment dans le cadre de la commande publique, la HABG a élaboré un Guide pratique de prévention et de règlement des conflits d’intérêts. Avec ce guide, la HABG met à la disposition des administrations publiques et parapubliques un outil pratique et des orientations pour mieux gérer les conflits d’intérêts qui nuisent aux finances publiques et à la réputation d’un pays. La HABG a organisé une séance d’appropriation de cet outil auprès des agents de l’administration publique.

 

« La HABG a réalisé ces 12 derniers mois des enquêtes de flagrance ayant abouti à l’interpellation de 19 personnes. »

 

Au-delà de votre travail en matière de prévention, quelles sont vos attributions concernant la répression, et pour quels résultats ?

 

En matière de répression, la HABG reçoit et traite les plaintes et dénonciations, et mène des investigations sur les pratiques de corruption et infractions assimilées pour les soumettre au Pôle pénal économique et financier (PPEF) pour des suites judiciaires. Concernant les dossiers, il convient de noter que sur la période du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2022, la HABG a reçu au total 738 requêtes constituées de plaintes et dénonciations. L’ensemble de ces requêtes a été traité par le Conseil de la HABG.

Au titre des investigations sur les pratiques de corruption, la HABG a réalisé au cours des douze derniers mois des enquêtes de flagrance ayant abouti à l’interpellation de 19 personnes, dont 15 en situation de flagrant délit, dans les secteurs de l’éducation nationale, des transports, de la douane, de l’administration décentralisée, de la construction et de la justice. Toutes ces personnes ont été déférées au parquet près le PPEF pour des suites judiciaires. En 2022, la HABG a transmis plusieurs procès-verbaux d’enquêtes au procureur de la République pour suite judiciaire près le PPEF.

 

Pourquoi les prestations de serment des membres de la HABG ne se font-elles pas devant le premier magistrat du pays, le président de la République, mais devant la Cour des comptes ?

 

Les membres de la Haute Autorité pour la bonne gouvernance prêtent serment devant la Cour des comptes conformément à l’article 14 de l’ordonnance n° 2013-661 du 20 septembre 2013 fixant les attributions, l’organisation et le fonctionnement de la HABG. Avant leur entrée en fonction, les membres de la HABG prêtent devant la Cour des Comptes le serment suivant : « Je jure de remplir mes fonctions avec honnêteté, impartialité, intégrité et objectivité dans le respect de la Constitution, des lois et règlements de la République. »

 

Pour 2023, quelles sont les priorités que se fixe la HABG ?

 

Au titre de la prévention, les priorités de 2023 sont orientées vers la mise en œuvre de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption, le renforcement du dispositif de la déclaration de patrimoine, l’élaboration et le déploiement des outils de lutte contre la corruption dans les administrations publiques, la sensibilisation des populations sur les conséquences de la corruption ainsi que l’introduction dans le système éducatif de l’enseignement sur la corruption et le renforcement de la coopération nationale et internationale. Concernant la répression, la HABG a planifié de procéder au renforcement de son système d'information sur la détection des actes de corruption et des infractions assimilées, et d’amplifier la répression des actes de corruption.

 

Propos recueillis par François Bécanthy